Pour la première fois, une émission de rayons gamma de haute énergie en provenance d’un microquasar a pu être observée avec certitude grâce au télescope Fermi de la NASA. Cette observation, faite sur le microquasar Cygnus X-3 par une équipe française (CEA-Irfu, CNRS-Insu et IN2P3, Université Paris Diderot, Université Joseph Fourier) permet de mieux comprendre le fonctionnement de ces sources particulières, où un objet compact orbitant autour d’une étoile est capable de propulser dans le milieu interstellaire l’équivalent de la masse de la Lune à une vitesse proche de celle de la lumière. Cette étude fait l’objet d’une publication dans la revue Science Express du 26 novembre 2009.
Les microquasars sont des couples d’étoiles composés d’un objet compact (étoile à neutrons ou trou noir) et d'une étoile compagnon qui sont également le siège d’éjections très énergétiques de matière, à des vitesses proches de celle de la lumière. Par illusion d’optique, ces projections, appelées «jets relativistes», paraissent même parfois dépasser la vitesse de la lumière. A l’échelle miniature, ils semblent la réplique exacte des quasars, des cœurs de galaxies où de puissants jets sont propulsés par un trou noir géant, d’où leur nom de «microquasars». Le premier de ces objets a été découvert au CEA en 1992 par Felix Mirabel et ses collaborateurs [1]. Relativement proches de nous, ces quasars miniatures sont de parfaits laboratoires pour essayer de comprendre ces phénomènes de jets qui affectent aussi les galaxies. Depuis leur découverte, les astrophysiciens soupçonnaient que ces microquasars pouvaient être des sources de rayons gammas de haute énergie, mais jamais encore ils n’avaient pas pu observer avec certitude ces émissions. Les observations faites grâce au télescope Fermi sur le microquasar Cygnus X-3, situé dans notre Galaxie, à environ 20 000 années-lumière dans la direction de la constellation du Cygne, viennent de changer la donne.
Vision d'artiste de l'orbite du microquasar Cygnus X-3. Un disque de matière entoure l'objet compact d'où sort un jet. L'émission gamma (représentée en violet) varie le long de l'orbite et est maximale lorsque le disque est situé derrière l'étoile compagnon. Credit: Walt Feimer, NASA/Goddard Space Flight Center
Cygnus X-3 a été une des premières sources de rayons X de la Galaxie découvertes à la fin des années 60 Peu de temps après sa découverte, elle est devenu célèbre à la suite d’observations de sursauts radio intenses durant lesquels Cygnus X-3 peut devenir sporadiquement la source radio la plus puissante du ciel. Dans les années 1970, de nombreuse équipes à travers le monde crurent détecter des émissions de rayons gamma à de hautes, voire de très hautes énergies (allant du GeV au PeV, voire EeV)[2]. Ces détections « extraordinaires » contribuèrent à accélérer le développement de l’astronomie gamma au sol et dans l’espace. Mais les générations suivantes d’instruments, nettement plus sensibles, ne détectèrent plus les rayons gamma émis par Cygnus X-3, laissant un doute sur les détections originelles des années 1970. Cette fois, les observations faites par l’équipe CEA-CNRS-Université Paris 7-Université Joseph Fourier sont sans ambiguïté : « Cygnus X-3 est un authentique microquasar et, pour la première fois, nous pouvons prouver l’existence dans ces objets d’émissions de rayons gamma de haute énergie », explique Stéphane Corbel, de l'université Paris-Diderot et du Service d’Astrophysique du CEA . Le télescope Fermi a non seulement détecté une source de rayons gamma à la position de Cygnus X-3, mais a surtout mesuré une variation périodique de l’émission en gamma, qui correspond à l’orbite (4.8 heures) du microquasar autour de son étoile compagnon, confirmant ainsi l’identification.
La source Cygnus X-3 détectée par le télescope LAT (Large Area Telescope) à bord du satellite Fermi dans le domaine d'énergie 200Mev - 100GeV. La position de Cygnus X-3 est indiquée par un cercle. Credits: NASA/DOE/Fermi LAT Collaboration
Les chercheurs ont pu en outre démontrer la variabilité des émissions gamma. Celles-ci apparaissent juste avant une forte émission radio, signe de l’allumage des jets relativistes. Tout se passe comme si l’émission gamma venait stocker l’énergie nécessaire pour les jets. Ces observations apportent donc de toutes nouvelles perspectives pour comprendre l’accélération des particules et la formation de ces jets relativistes.
Cygnus X-3 possède une autre particularité : c’est le seul microquasar où l’objet compact tourne autour d’une énorme étoile, dite de type Wof-Rayet, qui est la source de vents de matière très intenses engendrant une perte de masse très importante L’objet compact qui parcourt son orbite autour de cette étoile en 4.8 heures, est enveloppé dans un disque de gaz brûlants,. « Cet objet est très probablement un trou noir, mais nous ne pouvons encore exclure totalement l’hypothèse de l’étoile à neutrons », constate Guillaume Dubus de l’Université Joseph Fourier de Grenoble. Cette orbite très serrée implique une densité de particules très élevée proche de l’objet compact. Il est alors possible que des particules aussi lourdes que des protons puissent être accélérées, produisant alors des rayons gamma mais également un flot de neutrinos. Les microquasars comme Cygnus X-3 pourraient donc être des sources cosmiques intenses de neutrinos. Ces nouveaux résultats de Fermi ouvrent des perspectives intéressantes pour les nouveaux détecteurs de neutrinos comme ANTARES et ses successeurs déjà en projet.
Contact :
« Modulated High-Energy γ -ray emission from the Microquasar Cygnus X-3 »
La collaboration Fermi LAT
incluant le CEA/IRFU/Service d'Astrophysique et AIM (CEA/CNRS/Université Paris Diderot)
publié dans la revue Science, sur le site Science express (26 novembre 2009)
pour une version électronique (format PDF)
- voir : le communiqué de presse CEA-CNRS-IN2P3 (26 novembre 2009)
le communiqué de presse NASA (26 novembre 2009, en anglais)
- voir aussi : Signal d’alerte avant l'éjection de matière d'un trou noir (21 décembre 2007)
Voyage dans la Galaxie d'un microquasar (23 janvier 2003)
Le premier microquasar extra-galactique ? (23 janvier 2003)
Image en rayons X des jets de matière autour d'un trou noir (4 octobre 2002)
Les microquasars (dossier)
Notes :
[1] Le terme "microquasar" a été introduit par Felix Mirabel en 1994 à propos de la source GRS 1915+105 mais le premier système de ce type a été la source 1E1740.7-2942 découverte en 1992 par Félix Mirabel et ses collaborateurs du Service d'Astrophysique du CEA-Irfu (Nature vol. 358, no. 6383, July 16, 1992, p. 215-217).
[2]L’électronvolt est une unité de mesure de l’énergie Giga(109) électron-volt, Péta(1015) électronvolt, Exa(1018) électron-volt
Rédaction : Jean-Marc Bonnet-Bidaud, S. Corbel, M. Vandermersch
• Structure et évolution de l'Univers › Phénomènes cosmiques de haute énergie et astroparticules
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
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