Comprendre la dynamique interne de systèmes aussi complexes que le Soleil nécessite l’usage de simulations informatiques lourdes. En utilisant la puissance de supercalculateurs, une équipe du Service d’Astrophysique/Laboratoire AIM du CEA-Irfu a réussi le tour de force de modéliser les effets des ondes de gravité dans une simulation du Soleil extrêmement complète, de son coeur nucléaire à sa surface convective, et ce en 3 dimensions. Les résultats donnent accès à des informations d’une très haute précision et livrent une description rigoureuse et inédite de la dynamique interne du Soleil. Ces travaux, menés dans le cadre du programme européen STARS2 et publiés dans la revue Astronomy and Astrophysics, devraient permettre d’affiner grandement les modèles théoriques et de mieux préparer les futures missions spatiales (Solar-Orbiter, Plato) d’observations d’étoiles telles que le Soleil.
Les ondes qui se propagent à l’intérieur des étoiles, et dans le cas présent du soleil, jouent un rôle fondamental. Elles influencent leur structure, évolution et dynamique, pouvant créer des pulsations globales tout en étant une source d’information précieuse pour étudier les phénomènes dynamiques à l’intérieur des étoiles. Ces ondes sont de deux types : les ondes acoustiques (ondes sonores), et les ondes de gravité, qui se propagent dans tout fluide stablement stratifié en densité. Ces deux types d’ondes jouent un rôle important dans l’évolution de la rotation et du mélange des éléments chimiques dans les zones radiatives des étoiles (où l’énergie est transportée par les photons). D’autre part, à l’instar des ondes acoustiques, les ondes de gravité peuvent, selon leur fréquence, entrer en résonance dans le Soleil sur des modes appelés « modes g ».
La simulation numérique développée par les chercheurs a portée sur l'étude des ondes de gravité, les plus difficiles à détecter dans les étoiles de type solaire car elles se propagent dans les zones internes profondes. L’intérieur d’une étoile est composé de deux zones, dont les tailles relatives dépendent de la masse de l’étoile. Dans le cas des étoiles de type solaire, simulées ici, la zone la plus externe est convective et turbulente. La zone interne (enfouie), radiative, quant à elle, est stablement stratifiée. C’est uniquement dans cette zone stable que les ondes de gravité peuvent naitre et se propager, la zone convective agissant comme une barrière qui les atténue fortement. Grace à ces simulations nonlinéaires, il est possible de comparer l’amplitude de ces ondes dans le coeur du Soleil et d’en suivre la présence et la dynamique en surface puisque leurs propriétés sont connues. Cette simulation numérique a nécessité des millions d’heures de calculs sur les ordinateurs massivement paralèlles les plus puissants de France (GENCI) et d’Europe (PRACE), ce qui représentent plusieurs siècles de calcul sur un ordinateur monoprocesseur.
Fig. 1 : A gauche : Vue 3D d’une simulation du Soleil, dans laquelle on a retiré un quart de sphère pour voir l’intérieur de l’étoile. Quand les flots convectifs descendants (bleus) arrivent à l’interface avec la zone radiative (localisée à 70% du rayon de l'étoile), ils excitent des ondes de gravité qui se propagent dans la zone radiative en spiralant vers le centre. A droite : Coupe du plan méridien montrant la vitesse de rotation dans les zones internes de l’étoile. Dans la zone convective, le taux de rotation dépend de la latitude. Le profil obtenu dans la simulation est très proche de celui déduit des mesures héliosismiques. La zone radiative, elle, tourne comme un solide, à un taux de rotation constant. Comprendre la dynamique de ces deux zones et de leur interface, la tachocline, est une des grandes questions actuelles de la physique solaire. Crédit CEA/SAp
En se plaçant dans la zone radiative, il est possible de calculer le spectre des ondes de gravité visibles sur la figure 1. C’est la première fois qu’un spectre aussi riche est obtenu par des simulations 3D et non-linéaires du Soleil. L’étude de ses propriétés a permis d’apporter de nombreuses informations sur la manière dont les ondes de gravité sont excitées, se propagent et interagissent avec les autres processus. Sur la figure 1, les ondes de gravité forment des spirales quasi-circulaires dirigées vers le centre de l’étoile. Ce schéma correspond aux ondes de basse fréquences (zone rouge foncée sur la figure 2) qui dominent le spectre. En sélectionnant seulement une fine bande de fréquences, on obtient une forme très différente, représentée sur la figure 2 (panneau droit). La ligne bleue est obtenue par la méthode linéaire de tracé de rayon, qui fait l’hypothèse d’une variation lente de la structure de l’étoile par rapport aux ondes de gravité. L’accord entre simulation et théorie est remarquable.
Fig. 2 : A gauche : Spectre des ondes de gravité se propageant dans la zone radiative. La partie haute du spectre, formée par des points distincts les uns des autres, correspond aux modes résonnants. Les croix noires résultent du calcul de ces modes par un code d’oscillation 1D. L’accord entre les deux résultats est supérieur à 93%. La partie du spectre qui n’est pas recouverte par les croix noires correspond aux ondes progressives (non stationnaires), qui façonnent la rotation interne de l’étoile sur de grandes échelles temporelles. A droite : Vue du plan équatorial de la simulation 3-D après sélection de la fréquence 0.3mHz. La ligne bleue superposée est obtenue par la méthode de tracé de rayon. Crédit CEA/SAp
La simulation numérique réalisée par les chercheurs offre par le nombre de phénomènes et l’étendue spatiale pris en compte (turbulence, convection, effets thermiques, radiatifs et visqueux, rotation différentielle, 97% du soleil simulés - jusqu’au cœur, simulation 3D) une description extrêmement riche et complète de la dynamique d’une étoile comme le Soleil. Elle apporte des réponses aux questions des astéro/héliosismologues qui étudient les modes g et en déduisent les propriétés internes des étoiles. Par exemple, la mesure de la fréquence et de l’élargissement rotationnel des modes g sert à déduire le taux de rotation des étoiles. Elle est ainsi un outil de choix, et complémentaire, pour mieux comprendre les mécanismes de formation, d’excitation et de propagation des ondes dans les zones radiatives et à travers les zones convectives jusqu’à la surface de l’étoile. Ces travaux sont également un support important pour les futures missions spatiales de l’Esa d’étude du Soleil (Solar-Orbiter, lancement en 2017) ou d’observations d’étoiles de la Galaxie (mission Plato, lancement prévu en 2024).
Contact : Lucie ALVAN, Allan-Sacha BRUN, Stéphane MATHIS,
Publication :
"Theoretical seismology in 3D : nonlinear simulations of internal gravity waves in solar-like stars"
Lucie Alvan, Allan Sacha Brun, Stéphane Mathis, publié dans la revue Astronomy & Astrophysics.
pour une version électronique : http://arxiv.org/abs/1403.4052
voir : Le communiqué de presse du CEA
voir aussi : Le site du Laboratoire Dynamique des Etoiles et de leur Environnement (notamment sa rubrique Actu/Faits marquants)
Rédaction : S. Mathis, S. Brun, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Planètes, formation et dynamique des étoiles, milieu interstellaire
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM
• Dynamique des Etoiles, des Exoplanètes et de leur Environnement