Dans le cadre d’un programme d’observations mené à l’aide du télescope spatial Hubble, une équipe du Service d’Astrophysique-Laboratoire AIM du CEA–IRFU conduite par Anita Zanella a découvert la naissance d’un super-amas d’étoiles au sein du disque d’une galaxie très lointaine. Ce gigantesque complexe d’étoiles est âgé de moins de 10 millions d’années, et c’est la toute première fois qu’une région de formation stellaire aussi jeune est observée dans l’Univers distant. Cette découverte apporte un éclairage nouveau sur la façon dont les étoiles se forment dans les galaxies lointaines. Les propriétés physiques de cet objet indiquent que les amas d’étoiles nouvellement formés au sein de telles galaxies résistent à l’action destructrice des vents stellaires et des supernovae, et qu’ils peuvent donc survivre plusieurs centaines de millions d’années contrairement aux prédictions de certains modèles théoriques. Leur grande durée de vie leur laisserait suffisamment de temps pour migrer vers les régions internes de la galaxie, contribuant ainsi à la masse totale du bulbe galactique et à la croissance du trou noir central. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature de mai 2015.
Quand l’Univers n’avait que 3 milliards d’années, les galaxies avaient des caractéristiques très différentes de celles qu’elles présentent aujourd’hui. Leurs formes étaient plus irrégulières et leurs disques étaient beaucoup plus riches en gaz. On sait notamment que ces derniers formaient leurs étoiles beaucoup plus rapidement, au sein de gigantesques régions de formation stellaire beaucoup plus massives et plus lumineuses que celles typiquement observées dans les galaxies locales. Pourtant, la manière dont ces gros complexes d’étoiles s’assemblent n’est pas encore comprise, et leur évolution à l’échelle de l‘histoire cosmique est fortement débattue. Afin d’élucider ces différentes questions, des astrophysiciens du SAp ont mené leur propre campagne d’observations en utilisant le télescope spatial Hubble (en mode imagerie et spectroscopie) et le télescope japonais Subaru (en mode spectroscopie) installé à Hawaii. En effet, la très faible luminosité apparente des galaxies lointaines requiert l’utilisation de puissants moyens d’observation. Ils ont ainsi pu découvrir la signature d’un amas géant constitué de très jeunes étoiles et observé au moment même de sa formation, au sein d’une galaxie située à une distance de 11 milliards d’années-lumière.
Âgé de moins de 10 millions d’années, cet amas n’a pas encore eu le temps d’évoluer suffisamment pour que ses étoiles soient directement détectables. C’est donc à partir du rayonnement du gaz ionisé par ces jeunes étoiles que sa présence a pu être révélée. Ce super-amas contient une masse de gaz d’environ un milliard de fois la masse du Soleil. Il forme l’équivalent en masse de 30 étoiles de type solaire par an, et contribue à lui seul pour 50% de la formation stellaire totale de la galaxie. Par ailleurs, sa vitesse de croissance en masse et l’efficacité avec laquelle son contenu en gaz moléculaire est converti en nouvelles étoiles sont 10 fois supérieures aux valeurs moyennes observées à cette époque de l’histoire cosmique. Ceci atteste la présence d’un véritable sursaut de formation stellaire dans cette région.
Découverte d’un complexe de formation stellaire (clump) âgé d’environ 10 millions d’années dans une galaxie de l’Univers lointain. Les observations ont été obtenues à l’aide de la caméra grand champ WFC3 du télescope spatial Hubble et retracent l’émission du gaz ionisé à travers les raies de l’oxygène ([OIII] et [OII], images a et c) et de l’hydrogène (Hbeta, image b), ainsi que le continuum stellaire de la galaxie à 1.4, 1.05 et 0,6 microns (images d, e et f). L’amas d’étoiles (indiqué par la flèche blanche) est particulièrement lumineux dans la raie [OIII], alors que sa signature est encore indétectable dans les images du continuum. Cette galaxie se situe à un décalage cosmologique z=2, soit une remontée dans le temps de plus de 11 milliards d’années. La croix noire indique la position du centre de masse de la galaxie. La résolution spatiale de chacune de ces images est indiquée par le cercle blanc. La barre verticale blanche (1’’) représente une dimension de 28000 années-lumière à la distance de cette galaxie (Crédits CEA/HST).
Pour compléter l’interprétation de ces résultats inédits, les chercheurs ont également développé un ensemble de simulations hydrodynamiques à très haute résolution en utilisant le supercalculateur du « Très Grand Centre de Calcul » du CEA et du GENCI. Ces simulations montrent que dans les galaxies riches en gaz, les instabilités gravitationnelles et la turbulence du milieu interstellaire amènent le gaz à se fragmenter, puis à s’effondrer pour donner naissance à une pléiade de nouvelles étoiles, concentrées dans des régions dont la taille atteint plusieurs centaines d’années-lumière. Au sein de ces amas d’étoiles, l’activité instantanée de formation stellaire connaît une très forte croissance au cours des tous premiers millions d’années, pour atteindre des valeurs remarquablement comparables à celle déduite des observations obtenues par Zanella et son équipe. L’efficacité de formation stellaire y est également plus importante que la valeur moyenne mesurée à l’échelle des galaxies. Puis, après une quinzaine de millions d’années environ, l’effet des vents stellaires provenant des jeunes étoiles massives et de l’explosion des premières supernovae devient suffisamment fort pour contrebalancer l’effondrement gravitationnel du gaz. La formation stellaire décroit alors progressivement, tout en gardant une efficacité toujours plus élevée que celle caractéristique des autres régions du disque.
Simulation hydrodynamique d’une galaxie de l’Univers lointain. Les deux images, résultats de cette simulation numérique, sont des « instantanés » capturés 10 millions d’années après la formation de la région d’étoiles « A » visible en haut à gauche de la galaxie. Elles représentent les distributions spatiales de la masse d’étoiles déjà formées (gauche) et de l’activité de formation stellaire instantanée dans le disque (centre). Le diagramme de droite représente l’évolution du taux de formation stellaire et la masse d’étoiles formées dans la région « A » en fonction du temps (lignes noires continue et pointillée, respectivement), ainsi que ces mêmes quantités moyennées sur l’ensemble des régions de formation stellaire de la galaxie (lignes rouges). A 10 millions d’années, la région « A » est au pic de son activité de formation d’étoiles et contribue très fortement à l’activité totale du disque (image au centre). Elle n’a cependant pas formé suffisamment d’étoiles pour être facilement détectable dans la carte de masse stellaire (image de gauche). (Crédits CEA, projet COAST )
La découverte d’un complexe de formation stellaire aussi jeune dans une galaxie lointaine a des implications capitales sur la compréhension de la formation des galaxies à l’échelle cosmologique. Le jeune amas découvert par les chercheurs du CEA révèle en effet des propriétés physiques rares, observables uniquement lors des ~15 millions d’années qui suivent l’effondrement gravitationnel et la formation de telles concentrations de nouvelles étoiles. Parmi la soixantaine de galaxies observées dans le cadre de cette étude, c’est d’ailleurs l’unique objet qui présente de telles caractéristiques. En effet, les super-amas recensés dans les autres galaxies distantes correspondent à des complexes d’étoiles nettement plus évolués. Ainsi, la rareté du phénomène découvert ici implique que la durée de vie des super-amas observés dans l’Univers lointain pourrait atteindre au moins 500 millions d’années. Cette nouvelle contrainte permet d’exclure les scénarios théoriques qui prédisent leur destruction rapide par l’action des vents provenant des étoiles massives nouvellement formées, et corrobore l’idée que ces super-amas peuvent vivre suffisamment longtemps pour évoluer dans le disque galactique au sein du duquel ils se sont formés. Ils pourraient alors migrer vers le cœur de la galaxie et jouer un rôle majeur dans la croissance du bulbe et du trou noir géant central.
Caractériser finement le rôle de ces super-amas dans l’évolution des galaxies nécessitera cependant une détermination encore plus précise de leurs propriétés physiques comme leur taille et leur masse dynamique. Augmenter l’échantillon statistique de telles régions de formation d’étoiles est également au cœur des futurs travaux de l’équipe de chercheurs. Ces études requerront en particulier l’utilisation de moyens observationnels comme le réseau d'antennes ALMA (Atacama Large Millimeter Array) installé dans le Nord du Chili, ainsi que le télescope spatial James Webb Space Telescope (JWST) dont le lancement est prévu pour fin 2018.
Contacts : Anita Zanella, Emeric Le Floc'h
Publication :
"An extremely young massive clump forming by gravitational collapse in a primordial galaxy"
A. Zanella, E.Daddi, E. Le Floc’h, F. Bournaud, R.Gobat, F. Valentino, V. Strazzullo, A. Cibinel, M. Onodera, V. Perret, F. Renaud, C. Vignali
publié dans la revue Nature, 7 mai 2015
Accès à la version électronique de la publication
Voir - Le communiqué de presse CEA (7 mai 2015)
Voir aussi : Comment nourrir les trous noirs géants ? (11 novembre 2011)
Les clés de l'évolution des galaxies (Point Presse - 7 juin 2013)
Rédaction : Emeric Le Floc'h, C. Gouiffès
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM