Une nouvelle carte des amas de galaxies en trois dimensions vient d'être publiée par une équipe de chercheurs dirigée par Marguerite Pierre du Service d'Astrophysique-AIM du CEA-Irfu grâce à un sondage de deux régions du ciel, chacune couvrant chacune environ 25 degrés carrés, soit environ 100 fois la surface de la pleine Lune. Ce sondage, baptisé XXL, a été réalisé de 2011 à 2013 à l'issue de 543 observations en rayons X du satellite XMM-Newton, nécessitant plus de 6 millions de secondes d'exposition. Le sondage XXL a permis de localiser et d'identifier 450 amas de galaxies ainsi que 22 000 galaxies actives. Les amas de galaxies sont les plus grandes structures de l'Univers, pouvant atteindre des masses de plus de cent mille milliards de fois la masse du Soleil. Leur nombre et répartition ont pu être reconstitués jusqu'à des distances d'environ 7 milliards d'années-lumière où l'Univers n'a que la moitié de son âge actuel. Le sondage XXL a révélé une densité d'amas sensiblement moins élevée que celle prévue par les modèles cosmologiques et une quantité de gaz dans ces amas également plus faible qu'attendue. Il a aussi permis la découverte de 5 nouveaux super-amas ou amas d'amas de galaxies. Ces résultats préliminaires font l'objet d'une première série de 13 articles, publiés dans un numéro spécial de la revue Astronomy & Astrophysics (sous presse).
Les amas de galaxies sont les plus grandes structures de l'Univers, regroupant jusqu'à plusieurs centaines de galaxies. Selon le modèle cosmologique actuel, ils se sont formés à partir des très faibles inhomogénéités existantes dans l'univers primordial. Ces petites perturbations de densité croissent sous l'action concurrente de la gravité et de l'expansion de l'univers. Elles ont conduit à la formation progressive d'un remarquable réseau de filaments et de bulles de matière entourant des zones plus vides. Au cours du temps, ces surdensités deviennent plus denses, alimentées par des flots de matière le long des filaments. Les amas de galaxies sont les nœuds de la toile cosmique, situés aux croisements des filaments. Ils sont principalement constitués de l'hypothétique matière noire mais sont également d'immenses réservoirs d'un gaz chaud qui remplit l'espace entre les galaxies. Le gaz a une température de quelques dizaines de millions de degrés et émet principalement des rayons X.
La façon dont les amas se forment et évoluent est décrite par la relativité générale; elle dépend d'un ensemble de paramètres cosmologiques comme la densité moyenne de l'univers, la taille des fluctuations de densité initiales, la nature de la matière noire et aussi de l'énergie noire qui est responsable de l'accélération de l'expansion. Le but du programme XXL est de constituer un catalogue de plusieurs centaines d'amas de galaxies jusqu'à des distances où l'univers n'a environ que la moitié de son âge actuel afin de reconstituer leur évolution et leur répartition spatiale et tester ainsi différents scénarios cosmologiques.
Les amas de galaxies sont visibles en rayons X grâce au gaz très chaud qu'ils contiennent. A ces énergies, en dehors du plan de notre galaxie, les sources les plus brillantes sont soit les amas de galaxies (sources étendues) soit les noyaux de galaxies très actives (sources ponctuelles - environ 50 fois plus nombreux que les amas).
Le projet XXL a réalisé plus de 500 observations distinctes avec le satellite XMM-Newton pour couvrir deux régions opposées de 25 degrés carrés chacune. C'est le plus grand programme de XMM-Newton jamais alloué depuis le lancement en 1999. 450 amas de galaxies et 22 000 noyaux actifs ont été ainsi localisés et mesurés. Pour déterminer leur distance et leurs propriétés, le projet XXL a été associé à un grand programme d'observations complémentaires réalisées à l'observatoire européen austral (ESO) à l'aide des instruments EFOSC2 (NTT) et FORS2 (VLT) ainsi que des observations en ondes radio réalisées avec les radiotélescopes GMRT (Giant Metrewave Radio Telescope), VLA (Very Large array) et ATCA (Australia Telescope Compact Array).
Région du ciel du sondage XXL dans la partie sud (XXL-S) explorée par le satellite XMM-Newtion. D'une surface de 25 deg2, cette région a été couverte par 220 observations différentes du satellite dont le champ de vue est d'environ 0,5 degré (équivalent au diamètre de la pleine lune). Près de deux cents d'amas de galaxies ont été détectés (cercles rouges) ainsi que plus de 12 000 noyaux de galaxies actives (AGN) visibles comme des sources brillantes (points blancs). Crédits Projet XXL - S. Snowden, L. Faccioli, L. Pacaud
Le projet XXL a permis de révéler des amas de galaxies beaucoup moins massifs que ceux connus jusqu'ici. Des amas de galaxies très massifs ont en effet été découverts récemment par le satellite Planck par des effets indirects, grâce à l'interaction du rayonnement de fond de l'univers avec le gaz chaud des amas (appelé aussi effet Zeldovich-Sunyaez). La détection directe du gaz chaud par le projet XXL permet de détecter des amas environ dix fois moins massifs.
L'analyse complète réalisée sur 100 amas XXL les plus brillants a notamment démontré une propriété dite d'auto-similarité qui signifie que la luminosité en rayons X des amas n'évolue pas sensiblement avec leur distance ce qui indique que les amas lointains situés dans des régions où l'univers est plus jeune apparaissent comme des répliques des amas locaux.
En revanche, le nombre d'amas détectés est beaucoup plus faible que celui prédit à partir des derniers paramètres cosmologiques déterminés par le satellite Planck. La différence est importante car pour les amas situés à des distances inférieures à environ 5 milliards d'années lumière (décalage vers le rouge z < 0.5), le nombre total attendu d'amas d'après le modèle cosmologique actuel est de 115 alors que seuls 77 ont été observés par le projet XXL. Un déficit similaire a été observé pour les amas plus massifs détectés par le satellite Planck. Cela suggère, soit que certains paramètres décrivant la physique des amas doivent être revus, soit que le modèle cosmologique est plus complexe ou diférent de celui envisagé actuellement. L’étude de l’échantillon complet des 450 amas du projet XXL, qui sera publiée d'ici deux ans, devrait permettre de préciser cette conclusion.
A gauche : La répartition des masses des amas de galaxies détectés par le projet XXL selon leur distance mesurée par le décalage vers le rouge (z) [avec les paramètres cosmologiques actuels, un décalage de z=0.5 et 1.0 correspond à une distance de 5 et 7.8 milliards d'années lumière respectivement]. Le projet XXL détecte des amas (points et carrés noirs) de masse environ 10 fois plus faible que les amas détectés indirectement par le satellite Planck (étoiles rouges) et le télescope SPT (South Pole Telescope) (triangles verts).
A droite : Nombre d'amas détectés par le projet XXL en fonction de leur distance. Ce nombre est systématiquement moins élevé que celui prédit par différents modèles cosmologiques actuellement acceptés (courbes pointillés). Crédits Projet XXL - Article II.
Le projet XXL a également permis la découverte de cinq super-amas. Les super-amas rassemblent dans une même partie du ciel plusieurs amas de galaxies. Notre galaxie, la Voie Lactée fait ainsi partie d'un groupe local de galaxies, lui-même inclus avec plusieurs autres amas de galaxies dans une grande structure dénommée le super-amas Laniakea récemment découvert.
Le sondage XXL a découvert le super-amas XLSSC-e dans la constellation de la Baleine, à une distance d'environ 4,5 milliards d'années-lumière. Le super-amas très compact est constitué de six amas différents couvrant une région de 0.5 par 0.25 degré sur le ciel, ce qui à cette distance correspond à des dimensions de 10x5 millions d'années-lumière.
Les principaux résultats du projet XXL sont rapportés dans une première série de 13 articles dans la revue Astronomy & Astrophysics à partir de l'analyse d'un échantillon de 100 amas.
L'objectif principal du projet est de fournir notamment une indication sur le comportement de l'énergie sombre de l'univers à partir de la distribution et l'évolution des amas de galaxies. Les amas de galaxies sont les meilleurs indicateurs des paramètres de l'univers car ils sont sensibles à la fois à la géométrie de l'univers et aux scénarios de formation des structures. L'analyse de l'échantillon complet des 450 amas découverts qui sera publié en 2017 permettra de déterminer de façon encore plus précise l'influence de ces paramètres cosmologiques.
Le projet XXL constitue également une étape intermédiaire importante avant les prochains sondages de nouvelle génération qui ont pour objectif de couvrir l'ensemble ou une partie significative du ciel tels que DES (Dark Energy Survey), eROSITA (extended ROentgen Survey with an Imaging Telescope Array) , LSST (Large Synoptic Survey Telescope) et EUCLID.
Le sondage XXL est un projet international qui rassemble plus de 100 chercheurs de différentes nationalités avec notamment des chercheurs et moyens du CNRS, du CNES, d’Aix Marseille Université, et de l’Observatoire de la Côte-d’Azur.
Contact :
The XXL survey I : Scientific motivations, XMM observing plan - Follow-up observations and simulation programme - Pierre, Pacaud et al. 2015
The XXL survey II : The bright cluster sample - Pacaud, Clerc et al. 2015
The XXL survey III : Luminosity-Temperature Relation of the Bright Cluster Sample - Giles, Maughan et al. 2015
The XXL survey IV : Weak lensing mass – X-ray temperature scaling relation for the bright cluster sample - Lieu, Smith et al. 2015
The XXL survey V: Detection of the Sunyaev-Zel'dovich effect of the Redshift 1.9 Galaxy Cluster XLSSU J021744.1-034536 with CARMA - Mantz et al. 2015
The XXL survey VI: The 1000 brightest X-ray point-sources - Fotopoulou, Pacaud al 2015
The XXL survey VII: A supercluster of galaxies at z=0.43 - Pompei, Adami et al 2015
The XXL survey VIII : Spectroscopic MUSE and imaging CFHT view of Intra Cluster Light in a z=0.54 cluster of galaxies - Adami, Pompei et al. 2015
The XXL survey IX : 3 GHz VLA radio observations towards a supercluster at z=0.43 - Baran, Smolcic et al. 2015
The XXL survey X : Weak-lensing mass - K-band luminosity relation and implication on cluster galaxies - Ziparo, Smith et al. 2015
The XXL survey XI : ATCA 2 GHz continuum observations - Smolcic, Delhaize et al. 2015
The XXL survey XII : Optical spectroscopy of X-ray-selected clusters and evidence of AGN suppression in superclusters - Koulouridis, Poggianti et al. 2015
The XXL survey XIII: The baryon content of the bright cluster sample - Eckert, Ettori et al. 2015
The XXL survey XIV: AAOmega redshifts for the southern XXL field - Lidman, Ardila et al. 2015
Articles publiés dans la revue Astronomy & Astrophysics (sous presse).
Voir : le communiqué de presse du CEA-CNRS (15 décembre 2015)
: le communiqué de presse de l'Observatoire Européen Austral (ESO) (15 décembre 2015)
: le communiqué de presse de l'Agence Spatiale Européenne (ESA-ESTEC) (15 décembre 2015)
: le communiqué de presse de Astronomy & Astrophysics (15 décembre 2015)
Voir aussi - "L'univers en XXL" (3 mai 2011)
- "Le plus grand catalogue de sources de rayons X de l’Univers" (7 septembre 2007)
- "L'Univers profond sondé par le satellite XMM-Newton" (16 juillet 2003)
Voir : Communication du Service d'Astrophysique
Rédaction: M. Pierre, J.M. Bonnet-Bidaud
• Structure et évolution de l'Univers › Evolution des grandes structures et des galaxies Thèmes de recherche du Service d'astrophysique
• Institut de recherche sur les lois fondamentales de l'Univers (Irfu) • Le Département d'Électronique des Détecteurs et d'Informatique pour la Physique (DEDIP) • Le Département d'Astrophysique (DAp) // UMR AIM