Les magnétars sont des étoiles à neutrons qui arborent les plus forts champs magnétiques connus dans l’Univers et dont l’origine reste controversée. Dans une étude publiée dans la revue Science Advances, une équipe franco-allemande conduite par Raphaël Raynaud du Département d’Astrophysique du CEA-IRFU / Laboratoire AIM vient de réaliser les premières simulations numériques qui décrivent la genèse de ces champs magnétiques au cours des premières secondes suivant la formation d’un magnétar. Ces calculs montrent que les mouvements convectifs qui se développent au sein d’une étoile à neutrons en formation peuvent amplifier le champ magnétique, et ce d’autant plus efficacement que celle-ci tourne rapidement sur elle-même. Ces résultats suggèrent que les magnétars naissent des étoiles massives en rotation rapide. Cette découverte ouvre de nouvelles voies pour comprendre les supernovas les plus extrêmes ainsi que les propriétés de certains sursauts gamma.
Les étoiles à neutrons sont des astres extrêmement denses, regroupant une à deux fois la masse du soleil dans un rayon d’une douzaine de kilomètres. Parmi elles, les magnétars se distinguent par des émissions transitoires de rayons X et gamma. Le réservoir d’énergie associé à ces bouffées de rayonnement intense est probablement relié à la dissipation de champs magnétiques anormalement élevés. La mesure du ralentissement de leur période de rotation – induit par un effet de freinage magnétique – confirme ce scénario. On estime ainsi que les magnétars ont un champ magnétique dipolaire de l’ordre de 1015 Gauss (G), jusqu’à 1000 fois plus fort que le champ magnétique typique des étoiles à neutrons. Si l’existence de ces champs magnétiques extrêmes est aujourd’hui bien établie, leur origine reste sujette à controverse.
Pour comprendre la tension entre les différents scénarios de formation des magnétars, il faut rappeler qu’une étoile à neutrons constitue un résidu résultant de l’effondrement du cœur de fer d’une étoile de plus de neuf masses solaires, tandis que ses couches plus externes sont expulsées dans le milieu interstellaire lors d’une gigantesque explosion appelée supernova gravitationnelle. Certaines théories supposent donc que le champ magnétique des étoiles à neutrons est entièrement déterminé par la magnétisation du cœur de fer du progéniteur. Toutefois, de tels champs magnétiques fossiles devraient ralentir la rotation des cœurs stellaires. Il est alors difficile d’expliquer par ce scénario les énergies très élevées des explosions d'hypernovas et des sursauts gamma longs, dont la source est probablement constituée d’une étoile à neutrons (ou un trou noir) en rotation rapide. Par conséquent, un mécanisme alternatif semble plus favorable, dans lequel les champs magnétiques extrêmes pourraient être engendrés au moment même de la formation de l'étoile à neutrons.
En effet, au cours des premières secondes qui suivent l’effondrement du cœur, l’étoile à neutrons nouvellement formée se refroidit par l’émission intense de neutrinos. Ce refroidissement engendre des mouvements convectifs internes qui pourraient conduire à l’amplification exponentielle d’un champ magnétique. Connu sous le nom d’effet dynamo, ce mécanisme d’instabilité est par exemple à l’œuvre dans le noyau de fer liquide de la Terre ou dans l’enveloppe convective du Soleil. Pour tester cette seconde hypothèse, les chercheurs ont simulé pour la première fois la convection au sein d’une jeune étoile à neutrons en adaptant des méthodes numériques développées pour comprendre le champ magnétique terrestre. Les calculs réalisés sur le supercalculateur Occigen du Centre Informatique National de l’Enseignement Supérieur (CINES) ont mis en évidence l’amplification du champ magnétique jusqu’à des valeurs atteignant 1016 G pour des astres en rotation rapide (cf. Fig. 1).
Figure 1 - Représentation 3D des lignes de champ magnétique dans la zone convective à l’intérieur de l’étoile à neutrons. Les mouvements convectifs sont représentés par les surfaces bleues (correspondant à des mouvements vers l’intérieur) et rouge (vers l’extérieur). À gauche : Le nouveau type de dynamo qui apparaît pour des rotations rapides (périodes de quelques millisecondes) et dont le champ magnétique dipolaire atteint 1015 G. À droite : Pour des rotations plus lentes, le champ magnétique a une intensité jusqu’à dix fois plus faible.
En plus d’apporter une explication au champ magnétique de la trentaine de magnétars détectés dans notre Galaxie, ces résultats apportent une brique supplémentaire pour comprendre les explosions stellaires les plus extrêmes observées dans l’Univers. Par exemple, les supernovas superlumineuses émettent cent fois plus de lumière qu’une supernova usuelle, tandis qu’une autre famille, appelée hypernova, se distingue par son énergie cinétique dix fois plus élevée et son association avec l’émission d’un flash de rayons gamma d’une durée de quelques dizaines de secondes. Ces explosions demandent d’imaginer des processus non standards mettant en jeu une énergie phénoménale. Le scénario du « magnétar milliseconde » est aujourd’hui l’un des plus prometteurs. En utilisant un champ magnétique dipolaire comme une courroie de transmission, ce scénario considère que l’énergie rotationnelle d’une étoile à neutrons peut être transmise à l’explosion et accroître ainsi sa puissance. Les résultats publiés démontrent que les valeurs de champ magnétique nécessaires (1015 G) sont précisément atteintes par une dynamo convective pour des périodes de rotations de l’ordre de la milliseconde (cf. Fig. 2).
Figure 2 - Intensité de la composante dipolaire du champ magnétique dans une série de simulations avec différentes périodes de rotation de l’étoile à neutrons. Les traits pointillés verticaux correspondent à la période de rotation maximale en deçà de laquelle l’étoile se disloquerait sous l’effet de la force centrifuge. Les points de couleur rouge sont sur une branche de dynamo forte apparaissant pour les rotations les plus rapides, alors que les points bleus correspondent à des rotations plus lentes. Pour des rotations rapides, les propriétés du champ magnétiques sont compatibles avec les propriétés des magnétars observés dans la Galaxie et les conditions requises pour qu’un magnétar puisse alimenter les explosions les plus extrêmes.
Or jusqu’à présent, la faiblesse principale du scénario du magnétar milliseconde était de supposer l’existence d’un champ magnétique ad hoc, indépendamment de la rotation de l’étoile à neutrons. Les résultats obtenus apportent donc une justification théorique qui faisait défaut à ce modèle de « moteur central » responsable des plus fortes explosions d’étoile connues à ce jour.
Contact CEA : Raphaël Raynaud et Jérôme Guilet
Publications : Raphaël Raynaud, Jérôme Guilet, Hans-Thomas Janka, Thomas Gastine. "Magnetar formation through a convective dynamo in protoneutron stars." Science Advances, 13 mars 2020. https://hal-cea.archives-ouvertes.fr/hal-02428428v1
Voir également : Le communiqué de l'institut Max-Planck (en anglais)
Rédaction : Raphaël Raynaud, Jérôme Guilet, Christian Gouiffès
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