Quelques microsecondes après le Big Bang, l’Univers serait passé par un état où seuls les constituants les plus élémentaires de la matière y figurent : le plasma de quarks et de gluons (QGP). Le QGP est créé lors de collisions d’ions lourds ultra relativistes. En particulier au LHC (CERN), le QGP s’écoule comme un fluide emportant tout sur son passage. Ainsi, toutes les particules, légères, étranges ou charmées mesurées jusqu’à maintenant apparaissent comme emportées par le même fluide, ce qui témoigne de la force des interactions entre constituants du QGP. La collaboration ALICE au LHC, avec une contribution décisive des équipes de l’Irfu, vient de publier dans la prestigieuse revue Physical Review Letters la première mesure du flot elliptique de l’Υ(1S) (particule composée d’un quark beau et de son antiquark). Cette résonance apparaît comme la première particule au LHC ne se déplaçant pas avec le fluide. Ce résultat pionnier ouvre la voie à des études plus approfondies du QGP.
Les collisions d’ions lourds à très haute énergie au LHC du CERN donnent naissance à un état, appelé plasma de quarks et de gluons (QGP), où quarks et gluons, composants élémentaires de la matière, sont libérés des protons et neutrons dans lesquels ils se trouvaient confinés. Parmi les caractéristiques du QGP, une des plus impressionnantes est l’émergence de mouvements collectifs dus aux gradients de pression qui se développent en son sein. L’observation d’un flot anisotrope (Figure 1), qui convertit une asymétrie géométrique de l’état initial en une anisotropie des particules émises dans l’état final, en est la preuve expérimentale directe.
Figure 1 : Dans les collisions non centrales, la zone de recouvrement des deux noyaux présente une forme d’amande. Les interactions entre les constituants du milieu formé produisent des gradients de pression plus importants suivant le petit axe de l’amande ou ellipse (contenue dans le plan de la réaction) que suivant le grand axe (hors du plan de la réaction). Ainsi, l’asymétrie spatiale initiale est convertie en une anisotropie d’émission avec plus de particules émises dans le plan de la réaction, c’est le flot anisotrope.
La magnitude de ce flot est quantifiée par les coefficients vn de la décomposition en série de Fourier de la distribution azimutale des particules émises. La zone de recouvrement de deux noyaux dans les collisions non centrales a une forme d’amande, ce qui explique que le deuxième coefficient v2, ou flot elliptique, donne la plus grande contribution à l’asymétrie. Un v2 positif, compatible avec une description hydrodynamique du QGP, a été mesuré pour une grande variété de particules, depuis les légères (pions et protons), en passant par les particules étranges (composées d’au moins un quark s), jusqu’au J/ψ (composé d’un quark c et de son antiparticule cbar), bien plus lourd. Le flot de ce dernier intrigue : les quarkonia, parmi lesquels se trouve le J/ψ, sont des états liés d’un quark lourd (charme c ou beau b) et son antiquark (voir Fait Marquant “Le flot du charme intrigue”, mai 2018). Ce sont des sondes intéressantes du QGP car les paires de quarks lourds sont produites aux premiers instants de la collision et ressentent ainsi toute l’évolution de celle-ci. Dans les collisions d’ions lourds au LHC, les charmonia (c-cbar), comme le J/ψ, sont dissociés par les quarks et gluons libres dans le QGP et régénérés par recombinaison de quarks c en équilibre thermique. Etant plus lourd et ayant une énergie de liaison plus élevée que les charmonia, la dissociation des bottomonia (b-bbar), comme l’Upsilon Y(1S), devrait être limitée aux premiers instants de la collision, lorsque la température du QGP est très élevée. D’autre part, sa régénération serait marginale à cause du faible nombre de quarks b produits par la collision.
La collaboration ALICE vient de publier la première mesure du flot elliptique de l’Υ(1S) dans les collisions plomb–plomb (Pb–Pb) en utilisant toutes les données accumulées lors du Run 2 du LHC (2015–2018). Comme indiqué par la figure 2, les valeurs mesurées du v2 de l’Υ(1S) sont faibles et compatibles avec zéro. L’Υ(1S) devient ainsi la première particule qui ne semble pas participer au flot collectif du QGP crée dans les collisions d’ions lourds au LHC. Le v2 de l’Υ(1S) est plus faible que celui du J/ψ de 2,6 écart type. Ces résultats sont aussi compatibles avec les valeurs faibles mais positives prédites par des modèles théoriques qui incluent (TAMU) ou pas (BBJS) une petite composante de régénération des bottomonia par recombinaison de quarks b en interaction avec le QGP.
Ces observations, combinées avec les mesures précédentes de suppression de l’Υ(1S) et du J/ψ, viennent appuyer le scénario selon lequel les charmonia sont dissociés et recréés dans le QGP tandis que les bottomonia sont principalement dissociés dans les premiers instants de la collision. Les données futures, qui seront collectées lors des Run 3 et 4 du LHC, après les améliorations du détecteur ALICE (voir Fait Marquant “Les puces du nouveau détecteur à muons d’ALICE voient du faisceau pour la première fois”, mars 2019), permettront d’augmenter la précision des résultats actuels.
Figure 2 : Mesure du flot elliptique de l’Υ(1S), en rouge, et du J/ψ, en bleu, dans les collisions de noyaux de plomb au LHC en fonction de l’impulsion transverse pT. Les barres indiquent la taille des incertitudes statistiques, et les rectangles celles des incertitudes systématiques. Des calculs théoriques pour l’Υ(1S) sont indiqués par les courbes.
Référence : ALICE Collaboration, Phys. Rev. Lett. 123 (2019) 192301
Contact : Javier Castillo Castellanos, Robin Caron
Crédit : Texte adapté de l'original "Bottomonium elliptic-flow no-show", CernCourier, septembre 2019
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