13 décembre 2022
Un modèle qui prend à cœur le nucléon
Un modèle qui prend à cœur le nucléon

Image artistique d'une collision élastique électron-proton. L’électron échange un photon avec le proton et est dévié de sa trajectoire.
credit Jefferson Lab

Les nucléons (protons ou neutrons) sont les constituants du noyau des atomes. L’exploration de leur structure interne se fait traditionnellement par la mesure de "facteurs de forme". Ces quantités sont accessibles en étudiant les réactions de diffusion électron-proton et les réactions d’annihilation électron-positron en proton-antiproton (ou la réaction inverse d'annihilation proton-antiproton en électron-positron). Elles définissent la distribution de charge et de moment magnétique à l’intérieur du nucléon, induite par les quarks et les gluons qui les composent.  Il y a dix ans, un modèle théorique donnant une vision originale de ces distributions a été proposée par une collaboration impliquant une physicienne de l'Irfu [1]. Depuis, l'accumulation de données expérimentales a permis de renforcer la validité de ce modèle, capable de donner une image du proton et un scénario pour la formation de matière hadronique  avec une résolution spatio-temporelle encore jamais atteinte. On a accès à des phénomènes à une echelle spatiale au centième de  femtomètre et temporelle de l’ordre de 10-25 s, ce qui est 100 fois inférieur au temps qui met la lumière pour traverser un proton. Ces résultats font l'objet d'une publication récente dans la revue Physical Review C [2].

 

Les nucléons (proton ou neutron) sont souvent décrits comme un ensemble compact de trois quarks -dits « de valence » (les plus légers dans la famille des quarks: uud dans le proton, udd dans le neutron) entourés de paires de quarks-antiquarks (les quarks dits "de la mer"). Les quarks ont une masse, une charge électrique et une couleur, qui les différencient les uns des autres, le nucléon étant -comme toute particule observable- neutre en couleur. Les gluons, médiateurs de l’interaction forte et "transportant" la couleur, assurent la cohésion du système en générant une masse ‘dynamique’.

Et si, à toute petite distance, il y avait une zone de vide, due à l’interaction forte ?

Cette image, proposée dans les années 70, voit la région interne du proton comme du vide quantique excité créé par un condensat de gluons dont les spins sont orientés de manière aléatoire [1]. Un phénomène d’écrantage du champ gluonique aurait lieu comme dans un plasma pour le champ électromagnétique. Sans gluon, les quarks de valence identiques (uu dans le proton, et dd dans le neutron) n’étant plus distingués par la couleur, tenderaient alors à s’éloigner sous l'effet du principe de Pauli. Le troisième quark (d dans le proton, et u dans le neutron) searait attiré par l’un de ces deux quarks en formant un ensemble compact dit de ‘diquark. Le système se dilaterait, refroidirait, les quarks de valence absorberaient des gluons, en acquérant ipso facto masse et moment magnétique et en devenant des quarks constituants.

 

 
Un modèle qui prend à cœur le nucléon

schéma (diagramme de Feynman) d'une annihilation électron positron en une paire proton-antiproton, par l’intermédiaire d’un photon virtuel (bleu).

Comment cette théorie peut-elle être testée ?

Cette image est encore plus saisissante pour les réactions d’annihilation : un faisceau d’électrons entre en collision avec un faisceau de positrons (particules identiques aux électrons mais de charge positive) et produit des paires particule-antiparticule. Pour que le système évolue vers l’état final nucléon-antinucléon, l'énergie nécessaire fournie par l’accélérateur doit être au moins 2 GeV, c'est à dire deux fois la masse du nucléon. Lors de l’annihilation, cette énergie se concentre dans un petit volume de dimensions hbar/(2M) =0.1 fm dont les fluctuations produisent des couples quark antiquark ou diquark-antidiquark. Ce système  est soumis à des forces extrêmement intenses et de signe opposé : les interactions fortes dues au champ de gluons et électromagnétique.

On peut montrer que la présence de cette région "vide" à très petites distances agit sur la partie électrique du champ alors que la partie magnétique reste inchangée. Comme les distributions des charges électrique et magnétique du nucléon sont convenablement décrites par des quantités appelées ‘facteurs de forme’, on peut alors s'attendre à ce que l’existence de cette zone écrantée à l’intérieur du nucléon modifie le facteur de forme électrique, tout en laissant inchangé le facteur de forme magnétique. 

 

Que nous apprennent les données ?

Or, depuis les années 2000, et grâce aux observables de polarisation, on peut mesurer très précisément, le rapport des facteurs de forme électrique et magnétique, GE/GM, dans l’hypothèse que l’interaction électron proton advienne par l’échange d’un photon [3]. La mesure expérimentale de ce rapport indique qu'il est affecté par l’énergie du faisceau, comme prédit par le modèle [1], confirmant ipso facto de manière très probante sa capacité à donner une bonne image "spatiale" du nucléon (cf Figure 1).

 

Du point de vue temporel, le modèle a également été conforté par la découverte d’oscillations dans la section efficace d’annihilation électron-positron→proton-antiproton [4]. Ces oscillations deviennent régulières et amorties, comme dans un phénomène d’interférence. Là encore, le modèle éclaire de manière intéressante l’origine de ce phénomène, qui est attribué à la coexistence à l’intérieur du nucléon d’une composante di-quark et d'une composante à trois quarks.

 
Un modèle qui prend à cœur le nucléon

Fig. 1 : Facteur de forme électrique du proton en fonction de la distance sondé par le photon virtuel. La courbe continue est la prédiction du modèle, la courbe rouge en pointillé est un ajustement linéaire sur les données à grande impulsion (petite distance) [2].

Un modèle qui prend à cœur le nucléon

Fig. 2 : Corrélation des facteurs de forme neutron (Fn) et proton (Fp), donnés respectivement par les triangles ouverts rouges et les astérisques noires et rouges. La courbe rouge en pointillé indique la bissectrice Fn=Fp. Les lignes verticales soulignent les régions de discontinuité. La ligne noire discontinue est un ajustement linéaire par régions [2].

Le modèle suggère donc que la formation d'un hadron par l’annihilation s'effectue selon trois phases distinctes :

  • une étape ‘ponctuelle’ peuplée d’objets sans structure, à minima 6 quarks de valance , des gluons, des pairs quarks-antiquarks
  • une région à prédominance di-quarks car les quarks identiques s’éloignent alors que les quarks différents s’assemblent en une paire. Le système s’expand et se refroidit jusqu’à obtenir des quarks constituants,
  • près du seuil de formation des hadrons, d’un système de grandes dimensions dont l’énergie contrebalance l’énergie du confinement. Le système se sépare dans la paire nucléon-antinucléon qui est detectable.

Ces prédictions ont été corroborées par des mesures [5] reportées sur la figure 2 qui reporte le facteur de forme du neutron en fonction de celui du proton [2] permettant de voir les corrélations entre ces deux facteurs de forme. Cette figure permet en effet de distinguer trois régimes, qu’on pourra associer aux trois étapes du processus d’annihilation et formation des hadrons décrites ci-dessus.

 

En conclusion, la comparaison des nouvelles données sur les facteurs de forme avec les prédictions du modèle théorique [1] permet de conforter ce dernier.

On construit alors une image précise, originale et cohérente du nucléon dans sa dimension spatiale mais également on suit la formation de la matière dans le temps depuis sa création à de très petites échelles de distance et temps !

Contacts Irfu : Egle Tomasi


 

Dr Egle Tomasi-Gustafsson | Dr Simone Pacetti – Probing the Proton: Understanding the Structure of Sub-Atomic Particles

Summary of the paper ‘Interpretation of recent form factor data in terms of an advanced representation of baryons in space and time’, in Physical Review C, doi.org/10.1103/PhysRevC.106.035203 

crédit:  


Références :

  • [1] E.A. Kuraev, E. Tomasi-Gustafsson, A. Dbeyssi, Phys. Lett. B 712 (2012) 240-244
  • [2] E. Tomasi-Gustafsson et S. Pacetti, Phys. Rev. C 106, 035203, 2022
  • [3] A.J.R. Puckett et al. [The GEp collaboration], Phys. Rev. C 96 (2017) 5, 055203
  • [4] A. Bianconi  and E. Tomasi-Gustafsson, Phys. Rev. Lett. 114 (2015) 23, 232301
  • [5] M. Ablikim et al. [The BESIII Collaboration], Nature Phys. 17, 1200 (2021)
 
#5078 - Màj : 04/08/2023

 

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