« L'astronomie découvre enfin le point G » par Jean-Marc Bonnet-Bidaud

 

La découverte des ondes gravitationnelles 

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Le 14 septembre 2015, à 9h51 Temps Universel, deux détecteurs indépendants ont enregistré un signal gravitationnel cosmique compatible avec le passage d’une onde gravitationnelle - ou onde G - telle que décrite par la théorie de la Relativité générale. Cet événement a été baptisé GW150914 (pour Gravitational Wave du 14 Sept 2015).
Le signal GW150914 a été mesuré par les détecteurs du projet LIGO (Laser Interferometer Gravitational-wave Observatory), constitué de deux installations identiques situées à 3000 km de distance, l’une à Livingston (Etat de Louisiane), l’autre à Hanford, (Etat de Washington) aux USA.
La distance relative entre des couples de miroirs séparés par 4 kilomètres de distance et disposés selon 2 directions perpendiculaires.
Une très faible variation de la distance des miroirs considérés comme deux masses test. L’amplitude de la variation relative de distance est de 10-21, ce qui correspond pour 4km à une variation de 4 10-18m, soit 250 fois plus faible que la taille d’un noyau d’hydrogène, le proton.

 

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La forme du signal GW150914 enregistré dans les deux installations de Handford et Livingston : variation relative de distance en fonction du temps. Credits: Caltech/MIT/LIGO Lab

 

Cette variation de la distance entre les miroirs est constituée d’une succession périodique de courte diminution et augmentation de la distance sur une durée totale d’environ 0,2 seconde. Un signal identique a été enregistré d’abord à Livingston, puis 6.9 millisecondes plus tard à Handford.
Selon les équations de la Relativité générale, la forme et l’amplitude de ce signal sont bien reproduites par le mouvement en orbite très proche de deux trous noirs, suivi d’une fusion (coalescence) de ces deux trous noirs. Les deux trous noirs sont de masse assez similaire, l’un de 36 fois la masse du Soleil (Mo), l’autre de 29 Mo. Le trou noir résultant de la fusion a une masse de 62 Mo.
La différence de masse entre la somme des deux trous noirs initiaux (65 Masses solaires) et le trou noir résultant (62 Masses solaires) correspond à l’énergie rayonnée, calculée selon la formule E=mc2. Cette énergie est de 5,4 1047 joules rayonnée en une fraction de seconde. C’est près de 500 fois l’énergie rayonnée par la plus puissante des explosions d'étoiles en plusieurs mois et autant d'énergie que celle produite par toutes les étoiles de l'Univers pendant la même fraction de seconde.
L’amplitude et la fréquence observées ne peuvent être produites que par des masses de plusieurs dizaines de fois celle du Soleil, séparées par seulement 350 km environ. La masse des objets est supérieure à la masse maximale admise pour les étoiles les plus denses connues (étoiles à neutrons). Une telle masse et dimension ne peuvent correspondre qu’à des trous noirs.
Selon les équations de la Relativité générale, l‘amplitude de l’onde G diminue proportionnellement à la distance à la source. En comparant l’amplitude produite à la source par la fusion des 2 trous noirs à celle observée, la distance calculée est entre 0,7 et 1,8 milliards d’années-lumière avec une valeur moyenne de 1,3 milliards d’années-lumière.
On l’ignore encore. Pour déterminer exactement la source d’une onde G en trois dimensions par triangulation, le même signal doit etre enregistré au moins en 3 endroits différents. La détection d’un signal par deux installations seulement ne permet que de délimiter une très vaste région d’environ 600 degrés carrés – soit 1% du ciel complet ou 2400 fois la surface du disque solaire – située dans l’hémisphère Sud, proche du Nuage de Magellan. Dans le futur, la remise en service prochaine d’une 3e installation, l’instrument européen VIRGO en Italie fin 2016 devrait permettre de localiser l’origine des ondes G avec une précision pouvant atteindre 1 degré.

 

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Région du ciel où l’onde G (GW 150914) a été localisée. Credit: Caltech/MIT/LIGO Lab

 

La détection d’un signal strictement identique dans 2 installations indépendantes permet d’exclure une origine instrumentale, liée au dispositif de mesure. Mais cette coïncidence n’est pas une preuve absolue. Comme pour le tirage du Loto, même si la probabilité de trouver les 6 bons numéros par chance ou hasard est faible, il y a bien des gagnants. Il existe également une probabilité qu’un événement fortuit (par exemple, une vibration parasite d’origine terrestre) puisse produire un signal analogue. Ici, les chercheurs ont calculé avec une grande rigueur, qu’un tel évènement pouvait se produire « de façon purement fortuite » dans leur installation environ 1 fois tous les 200 000 ans, ce qui équivaut à une probabilité de 1 pour 5 millions.

 

Quelles surprises derrière cette découverte ?
En dehors de la confirmation d’une des prédictions essentielles de la RG, il s’agit aussi de la découverte d’une nouvelle classe d’astres : des trous noirs de masses intermédiaires. Nous ne connaissions à ce jour aucun trou noir d’une masse de plusieurs dizaines de fois la masse du Soleil et on ne sait pas comment les former. Il n’était connu jusqu’ici que des trous noirs « stellaires » (de quelques masses solaires) provenant de l’implosion d’une étoile massive et des trous noirs super-massifs (plus d’un million de masses solaires) dont l’origine exacte reste une question ouverte. Une vingtaine de trous noirs « stellaires », tous situés dans notre galaxie, ont des masses mesurées entre 5 et 10 masses solaires. Seuls deux autres trous noirs (IC10 X-1 et NGC300 X-1) situés dans des galaxies extérieures, ont des masses suggérées entre 10 et 30 masses solaires. Aucun n’était jusqu’à aujourd’hui connu dans la gamme supérieure à 30 masses solaires.
Une des grandes avancées de la découverte des ondes G est de permettre la détection directe d’une matière « noire » c’est à dire qui n’émet pas de rayonnement électromagnétique. Les trous noirs de masses intermédiaires peuvent-ils constituer une fraction importante de cette matière noire ? La réponse à cette question dépend de la fréquence des évènements comme GW150914. Un des scénarios possibles de la formation de trous noirs de masses intermédiaires est celui des explosions de supernova avortées. Dans certains cas, l’implosion ou effondrement d’une étoile massive à la fin de sa vie ne conduit pas à une explosion de supernova, c’est à dire à l’éjection dans l’espace de la matière de l’étoile, mais à l’effondrement complet de l’étoile. Jusqu’ici l’absence de trous noirs de masses intermédiaires avait conduit à considérer ce scénario comme peu fréquent. Si le nombre d’ondes G comme GW150914 s’avère élevé, la population de trous noirs pourrait être plus importante que prévu. On peut s’interroger en particulier sur le sort des premières étoiles de l’Univers, appelées aussi Pop III (pour étoiles de Population III). Cette hypothétique population d’étoiles (aucune n’a été trouvée à ce jour) serait constituée d’étoiles très massives (environ 100 mases solaires) formées en grande quantité au début de l’univers. Après une durée de vie très courte, elles pourraient potentiellement avoir donner naissance à des trous noirs. Dans ce cas, il pourrait exister un grand nombre de trous noirs de masse intermédiaire.

 

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Image de simulation de 2 trous noirs en fusion. Credit: SXS, the Simulating eXtreme Spacetimes (SXS) project (http://www.black-holes.org)

 

Ce qu'il est faux de dire et qui l'est souvent  ?
Non, ici la source potentielle est située dans l’Univers local à une distance d’environ un milliard d’années-lumière (correspondant à un décalage vers le rouge de 0 ,09). L’onde G (GW 150914) ne doit pas être confondue avec les ondes G primordiales – produites dans les premières fractions de seconde de l’expansion de l’univers – dont la découverte rapportée par l’existence Bicep-2 en 2014 a depuis été clairement démentie
Le son ne peut se propager que dans un lieu matériel et non dans le vide cosmique. Tout phénomène périodique peut être bien sûr « traduit » en sons, c’est à dire que l’on peut imposer à un milieu matériel (par exemple l’air) une variation temporelle identique. Mais, cette « traduction sonore » n’est donc pas le propre des ondes G. On peut ainsi de la même façon « entendre » la rotation des pulsars ou les oscillations solaires.

 

L’état de la physique après la découverte des ondes G

Avec la détection des ondes G, une des dernières grandes prédictions de la RG a été vérifiée, et pour une des premières fois dans le cas de champs de gravitation forts. Mais pourtant cette description de la gravitation ne répond pas aux questions posées par la physique théorique contemporaine.
Entre Relativité générale et mécanique quantique le fossé demeure. Depuis l’irruption de la mécanique quantique dans les années 1930, la physique vit un dilemme. D’un coté la gravitation est décrite par la RG dans le cadre d’une physique classique comme un effet « géométrique », une déformation de l’espace-temps. De l’autre, les 3 autres interactions fondamentales (électromagnétique, interactions faible et forte) sont elles décrites comme des interactions quantiques portés par des particules messagères. Ces 3 autres interactions peuvent être unifiées dans le cadre du formalisme quantique mais pas la gravitation.
Dans la théorie de la RG, l’onde G propage le message de la gravitation comme le photon est le messager de la lumière. Dans le cadre d’une théorie quantique de la gravitation, c’est l’hypothétique « graviton » qui transporte l’information gravitationnelle. Alors onde ou particule, quelle est donc la bonne description ? La découverte des ondes G confirme que la Relativité opère bien comme une théorie « ondulatoire ». Comme il semble naturel d’imaginer une unification globale possible des 4 interactions, une description complémentaire de type « corpusculaire » semble également indispensable. Dans le cas de la lumière et de la matière, les deux types de descriptions onde-particule sont effectivement « superposés » selon le type de phénomène observé. Il pourrait donc en être de même pour la gravitation.
Si le graviton existe et qu’il a une masse non nulle alors il peut subir une faible interaction avec le milieu cosmique. Dans ce cas, les caractéristiques de l’onde G pourraient subir de légères distortions. La comparaison dans le cas du signal GW 150914 a fourni une limite supérieure à la masse du graviton : au maximum 2 10-55 g

Impact médiatique

Contrairement à ce qui est souvent dit, le premier à évoquer les ondes gravitationnelles n’a pas été Albert Einstein mais Henri Poincaré. Dans un article de 1905, Henri Poincaré emploie alors le terme de « ondes gravifiques »:, suggérant que la gravitation ne se propage pas de façon instantanée.
Les questions d’antériorité entre Einstein et Poincaré font l’objet d’un vaste débat (voir par exemple Thibault d’Amour (http://arxiv.org/abs/hep-th/0501168).
L’article principal de la collaboration LIGO-Virgo est signé par plus de 1000 auteurs de plus de 100 laboratoires dans 15 pays différents. Il n’a pas été soumis à une revue commerciale, mais il est paru en accès libre dans la revue Physical Review Letters, éditée par la Société Américaine de Physique sous la licence Creative Commons. http://journals.aps.org/prl/abstract/10.1103/PhysRevLett.116.061102
La découverte des ondes gravitationnelles est promise au Prix Nobel. L’un des récipiendaires sera très probablement Kip Thorne, co-fondateur du projet LIGO et un des auteurs de l’ouvrage « Gravitation » paru en 1973 et considéré comme la bible de la gravitation https://fr.wikipedia.org/wiki/Gravitation_%28livre%29
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Kip Thorne, co-fondateur du projet LIGO et un des auteurs de l’ouvrage « Gravitation » paru en 1973 et considéré comme la bible de la gravitation
#722 - Mise à jour : 23/02/2016

 

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