Les trous noirs supermassifs

par David Elbaz 

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Le quasar 3C 273, le plus lumineux
jamais observé.
Credit: ESA/Hubble&NASA

En 1963, l’astronome Maarten Schmidt passait en revue les sources radio du 3ème catalogue des astronomes de l’université de Cambridge quand il remarqua un défaut sur la photographie de la 273ème source du troisième catalogue, 3C273. Elle ressemblait à une étoile mais on pouvait voir un trait de lumière juste à côté. L’analyse de la lumière de cette source, qui ressemblait à une étoile sur les images optiques, montra qu’elle présentait un décalage vers le rouge de 16%, ce qui est 150 fois supérieur à ce que l’on mesure pour une étoile qui se déplace dans la Voie lactée… La source s’éloignait de nous à 47 400 km/s et devait donc se trouver à deux milliards d’années-lumière de la Terre, selon la loi de Hubble-Lemaître qui relie la vitesse d'une galaxie à sa distance (plus l'objet est rapide, plus il est loin). Pourtant elle rayonnait autant qu’une étoile située dans la Voie lactée. Pour expliquer cela il faudrait concentrer mille milliards de Soleils dans une région extrêmement réduite, comme les études de la variabilité de la source démontrèrent par la suite.

Une seule conclusion s’imposa à l’Ame?ricain Edwin Salpeter et au Russe Iakov Zel’dovich: un monstre devait loger au coeur du premier quasar découvert, 3C273, un trou noir supermassif.

Nous venions d’entrer dans l’ère des trous noirs supermassifs, comme source d’énergie des plus puissantes sources de lumière de l’univers, les quasars. Mais les trous noirs galactiques, des trous noirs supermassifs, restaient hypothétiques, indirectement invoqués et leur rôle limité aux objets les plus extrêmes.

L’étude des mouvements des étoiles en orbite autour du centre de la Voie lactée, Sagittarius A*, par les équipes de Reinhard Genzel et d’Andrea Ghez apporta les observations les plus convaincantes de l’existence des trous noirs supermassifs, même s’il ne s’agissait que d’une preuve indirecte d’où le libellé du comité Nobel : L'Académie royale des sciences de Suède a décidé d'attribuer le prix Nobel de physique 2020 à Reinhard Genzel et Andrea Ghez pour la découverte d'un objet compact supermassif au centre de notre galaxie...Il faudrait invoquer des objets encore plus exotiques que les trous noirs pour expliquer que la concentration d’une masse de 4 millions de masses solaires dans une zone aussi réduite ne produise pas de rayonnement détectable dans tout le spectre électromagnétique. Plus exotique, au sens où il n'existe pas de tels objets dans les théories actuelles tandis que l'existence des trous noirs s'inscrit naturellement dans la théorie de la relativité.

La même approche fut utilisée dans les galaxies distantes et popularisée sur un grand nombre de galaxies grâce au spectrographe FOS du télescope spatial Hubble. Au cœur de la galaxie Messier 87, M87, on peut voir la signature caractéristique de la recombinaison d’un électron dans un atome d’hydrogène produisant la raie en émission Halpha à 6563Å qui se dirige vers nous à 500 km/s d’un côté (ce qui entraîne un décalage vers le bleu de la raie Halpha) et s’éloigne de nous (décalage vers le rouge) à 500 km/s de l’autre côté du centre de la galaxie appelé, M87*. On en déduit la présence d’une concentration de masse de plusieurs milliards de masses solaires qui ne produit aucune lumière.  Un trou noir mille fois plus massif que celui de la Voie lactée.

Étant mille fois plus massif tout en étant mille fois plus éloigné de nous que SgrA*, le trou noir M87* a la même taille apparente que SgrA* mais l’avantage de présenter une signature moins variable dans son environnement ce qui explique que le Event Horizon Telescope, l’EHT, choisit M87* pour produire sa première image de l’ombre d’un trou noir supermassif.

Zoom dans la galaxie M87 

Cette vision artistique, basée sur des simulations réelles d'accrétion de trou noir, explore les environs d'un trou noir, montrant un disque d'accrétion de plasma surchauffé et un jet relativiste. Elle montre également les trajectoires des photons à proximité d'un trou noir, alors qu'ils s'incurvent à proximité de l'horizon de l'événement en raison d'une forte gravité. La courbure gravitationnelle et la capture de la lumière par l'horizon des événements est la cause de l'ombre du trou noir capturée par le télescope Event Horizon dans la galaxie M87. Crédit : Nicolle R. Fuller / NSF Scientific Advisory, Simulations, Image finale : Collaboration avec l'EHT

Les dimensions de l’ombre ont permis de distinguer les modèles possibles pour sa masse grâce aux observations de la dynamique autour du trou noir et ainsi permettre de déterminer sa masse de six milliards de masses solaires.

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Image en optique du centre galactique 
avec l'instrument NACO du VLT.  
https://www.mpe.mpg.de/ir/GC/

 

Avec les observations de la dynamique au centre de nombreuses galaxies, en large partie grâce au télescope Hubble, nous sommes entrés dans une seconde ère des trous noirs galactiques :

  Les trous noirs supermassifs sont désormais omniprésents dans les galaxies et la question n’est plus de savoir où il en existe, mais s’il existe des galaxies qui n’en possède pas un en leur centre !

Vint ensuite une troisième phase qui accrut un cran plus loin l’importance des trous noirs supermassifs dans l’histoire de l’univers : la masse d’un trou noir supermassif est égale à environ un millième de la masse des étoiles contenues dans le bulbe d’une galaxie, i.e. sa partie sphérique par opposition à son disque. Cette relation, souvent appelée relation de Magorrian du nom de l’un de ses découvreurs, semble suggérer qu’il existe un lien physique, de causalité, entre la masse d’un trou noir supermassif et la masse des étoiles des galaxies. Pourtant, le rôle joué par un trou noir supermassif dans la dynamique de rotation d’une galaxie est négligeable. Il n’affecte que le centre d’une galaxie.

 

 

Le DAp s’est fortement impliqué sur cet aspect de la question autour des trous noirs galactiques à travers les problématiques suivantes :

Parmi les grandes questions autour de la science des trous noirs supermassifs, voici celles qui animent le plus les débats entre spécialistes aujourd’hui :

En utilisant les satellites ISO (ESA), à la fin des années 1990, puis Spitzer (NASA) et Herschel (ESA), mais aussi la caméra VISIR au VLT, les équipes du DAp ont identifié des noyaux actifs enfouis dans la poussière. Leurs travaux ont démontré que les noyaux actifs, qui doivent leur puissance à un trou noir galactique, ne réduisaient pas la formation d’étoiles de manière directe, mais ils peuvent empêcher la matière intergalactique, située autour des galaxies, de venir nourrir les galaxies dans un second temps. Leurs analyses ont révélé un lien de causalité entre quasar et formation d’étoiles en montrant que les jets de matière issus d’un quasar pouvaient provoquer une flambée de formation d’étoiles.

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 JWST, observatoire infrarouge 

Aujourd’hui les équipes de l’Irfu se préparent à l’arrivée en 2021 du James Webb Space Telescope, successeur du télescope spatial Hubble qui permettra pour la première fois de voir dans l’infrarouge le cœur des galaxies et de séparer le rayonnement des étoiles et du noyau actif pour mieux comprendre le lien entre étoiles et trous noirs. En 2032, le satellite Athena, une des grandes missions de l’ESA, permettra d’étudier le rayonnement X engendré par la matière qui s’effondre dans les trous noirs supermassifs en chauffant à des températures de millions de degrés au cœur des galaxies et d’en mesurer l’impact sur la matière intergalactique que ce soit autour des galaxies comme à l’intérieur des amas de galaxies. L’autre grande mission de l’ESA qui sera lancée à la même époque, LISA, permettra de détecter les ondes gravitationnelles engendrées par la fusion de deux trous noirs supermassifs. Pendant ce temps, l’Event Horizon Telescope qui combine huit grands observatoires millimétriques sur la surface du globe permettra de mieux étudier les trous noirs galactiques les plus proches. Dans les années 2025, la caméra développée à l’Irfu, METIS, pour l’Extremely Large Telescope au miroir de 39m permettra d’étudier le cœur des noyaux actifs dans l’infrarouge, sans souffrir de l’atténuation par la forte concentration de poussière interstellaire. 

 


Liens vers quelques faits marquants 

Event Horizon Telescope en 2019: La toute première image d'un trou noir supermassif

satellites Chandra et XMM-Newton en 2019: Signaux de fumée en provenance du trou noir super-massif de la Galaxie

Herschel en 2013: Au plus près d'un trou noir

Radiotélescope ATCA en 2012: Trou noir Taille M. Découverte d’un jet radio transitoire autour d’un trou noir de masse intermédiaire

INTEGRAL en 2003: Le trou noir central de notre Galaxie

 

#927 - Mise à jour : 02/11/2020

 

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