29 février 2016
Bouffées d’antimatière dans un microquasar
Exceptionnelle activité d’un trou noir galactique révélée par le satellite INTEGRAL
Bouffées d’antimatière dans un microquasar

©M. Weiss/CfA

L’analyse de l’émission X et gamma du microquasar V404 Cygni a conduit à la découverte d'intenses bouffées de plasma constitué d’électron et de son antiparticule le positron. Ce résultat, basé sur l'étude par le spectromètre INTEGRAL/SPI d'un remarquable épisode d'activité de la source en juin 2015 désigne les microquasars comme des pourvoyeurs efficaces de plasmas de paires, des « usines à antimatière » en quelque sorte. La source V404 Cygni montre une variété de sursauts, certains atteignant des records de brillance en rayons gamma. Cette diversité est décrite en détail dans une étude complémentaire qui conclut que dans le système, des éjections de matière à très grande vitesse ont lieu dans des jets. Ces différentes observations et leurs implications soulignent le rôle clé joué par les microquasars pour expliquer l’émission diffuse de photons d’annihilation observée dans le bulbe galactique et l’origine encore mal connue du fond diffus gamma galactique. Ces travaux sont l’objet de deux publications, l’une placée sous la direction d’une équipe du Max-Planck-Institut für extraterrestrische Physik (MPE) de Garching en Allemagne et publiée dans la revue Nature du 29 février 2016 et la seconde pilotée par les chercheurs du Service d’Astrophysique/laboratoire AIM (SAp) du CEA-Irfu et parue dans le journal Astronomy and Astrophysics fin 2015. Dans les deux cas, les chercheurs du MPE et du SAp se sont associés pour exploiter avec d'autres collaborateurs les données du satellite Integral, seul observatoire actuellement en opération permettant de mener à bien de telles études.

 

Ejection de plasma de paires lors d’un historique regain d’activité

La source V404 Cygni est une binaire X galactique composé d’une étoile de faible masse et d’un trou noir.  Elle fait partie de la famille des microquasars, des systèmes binaires « accrétants » (système où la matière de l’étoile compagnon est aspirée par le trou noir) et éjectant sporadiquement des plasmas de matière dans des jets relativistes. En Juin 2015, cette source est entrée dans une phase d’activité exceptionnelle mobilisant la communauté scientifique et une panoplie de moyens d’observation, au sol comme dans l’espace. Parmi ces derniers, le satellite de l’Agence spatiale européenne Integral a joué un rôle clé.  
Durant la campagne d’observation, les données obtenues par le spectromètre SPI ont permis de découvrir d’intenses phases d’émission de photons d’énergie de 511 keV. Cette émission est la signature de l’annihilation de l’électron avec son antiparticule, le positron. L’intensité observée durant les dix jours d'activité de V404 Cygni implique une forte production de paires électron-positron, plus de 10**42 paires créées par seconde durant les sursauts.

 

 

A gauche, schéma décrivant l'annihilation d'un électron et de son anti-particule, le positron, conduisant à la formation de deux photos à l'énergie précise de 511 keV. A droite, distribution spectrale établie à partir des données du spectromètre SPI de l’un des sursauts majeurs du microquasar V404 Cygni en juin 2015. Au dessus d’une émission de photons X et gamma résultante de plusieurs processus (interaction de photons du disque d’accrétion avec un plasma de particules situé dans la couronne chaude, rayonnement dans un jet de particules très énergétiques) se superpose une émission à l’énergie 511 keV, signature de la présence d’un plasma de paires électron-positron.

 

 

L’étude fine de la structure de la raie, possible grâce aux performances du spectromètre SPI, montre néanmoins un profil différent en terme de position et de largeur selon le sursaut observé. Ceci a conduit les chercheurs à avancer plusieurs hypothèses pour expliquer ces différences comme des régions émissives de températures différentes, une morphologie particulière dans l’environnement du trou noir ou les effets d’un champ magnétique. L’effet du champ gravitationnel extrêmement intense autour du trou noir, appelé décalage gravitationnel et qui modifie l’énergie des photons, est également évoqué pour expliquer en partie les caractéristiques observées.

 

Intenses et rapides variations de lumière

L’intense activité de V404 Cygni et la complémentarité des différents instruments à bord de l’observatoire Integral ont d’autre part permis une analyse fine des sursauts. En particulier, la caméra ISGRI du télescope imageur IBIS a observé dans le domaine des rayons X-durs (énergie comprise entre 20 et 300 keV) des variations de flux extrêmement intenses sur des échelles de temps courtes (fluctuation d’un facteur presque 1000 sur une période typique de une heure).

 

Cette animation montre les variations d’intensité détectées par la caméra Isgri du microquasar V404 Cygni durant ses épisodes d’activité en juin 2015. La séquence débute le 18 juin 2015 (MJD ou Jour julien modifié 57191) et dure 14 jours. L'évolution sur cette période du flux de la source apparait sur la courbe du bas tandis que défilent en haut à gauche l’image Isgri de V404 Cygni (champ de 9 x 9 degrés) et en haut à droite le signal de la source extrait dans la bande d’énergie 20-40 keV. La position de V404 Cygni est indiquée en début de séquence par un cercle. Deux autres systèmes binaires X, Cyg X-1 et Cyg X-3, sont également présents dans le champ de vue. Les images de la séquence se succèdent à une cadence de 2000 sec tandis que le pas d’échantillonnage sur la courbe rouge en haut à droite est de 32 sec. Les interruptions visibles au cours de la séquence sont dues à différentes contraintes du satellite. Crédit : CEA/Service d’Astrophysique (V. Chambouleyron)

 

L’extrême intensité des sursauts observés a atteint des records, 50 fois plus lumineux que la nébuleuse du Crabe, source étalon brillante dans ce domaine. L’émission observée durant ces phases actives indique des variations de nature diverse, corrélées pour certaines avec les mesures obtenues par un dispositif optique à bord du satellite. Les scientifiques interprètent ces sursauts comme des émissions provenant du disque d’accrétion entourant l’objet compact et de puissants jets de particules, hypothèse appuyée par des observations radio simultanées.

 

Le fond diffus gamma de la Galaxie et les microquasars

Hormis une meilleure description des processus en jeu de tel système binaire, l’étude de la raie d’annihilation apporte un élément de réponse à une question largement débattue actuellement qui porte sur l’origine de l’émission à 511 keV observée dans le bulbe galactique. En effet, cette étude montre que V404 Cygni produit une quantité importante de plasma de paires lors des épisodes de forte activité et ce durant une dizaine de jours. Le flux observé dans le bulbe galactique requiert qu’à tout moment dix sources de ce type expérimentent une phase d’activité similaire. En considérant un rendement (rapport phase active versus phase calme) de 1/1000ème, ceci conduit à disposer de 1000-10000 systèmes similaires à V404 Cygni, tous situés dans le bulbe galactique, pour rendre compte de l’émission observée.  Ce scénario est selon les chercheurs tout à fait possible au regard des modèles de synthèse de population stellaire dans la Galaxie qui prédisent l'existence de l'ordre de 100 millions de trous noirs stellaires.

Ces travaux confortent le rôle clé joué par les microquasars pour enrichir en plasma de paires les régions centrales de la Galaxie. Ils soulignent également leur impact sur l’excès observé (autour de l’énergie voisine du MeV) de l’émission diffuse de la Galaxie.

 

Note  : V404 Cygni est un système composé d’une étoile de masse légèrement inférieure à celle du Soleil (0.7 fois) orbitant avec une période de 6.4 jours autour d’un astre compact de 10 masses solaires. Il est située à 2.4 kpc (environ 8000 années-lumière) de la Terre dans la constellation du Cygne. En 1989, une source dans cette région a été détectée en rayons X par le satellite japonais Ginga et cataloguée comme GS 2023+338, source ensuite identifiée comme coïncidente à la position de la nova V404 Cygni. Ce système a connu dans le passé plusieurs phases d’activité, détectées en 1934 et 1956 par un accroissement de sa luminosité optique.

 

Contacts : Jérôme Rodriguez (CEA)

Publications :

" Pair plasma in the microquasar V404 Cygni "
Thomas Siegert, Roland Diehl, Jochen Greiner, Martin G. H. Krause, Andrei M. Beloborodov, Marion Cadolle Bel, Fabrizia Guglielmetti, Jerome Rodriguez, Andrew W. Strong, and Xiaoling Zhang
publié dans la revue Nature, 29 Février 2016
Accès à la version électronique de la publication

 

" Correlated optical, X-ray, and gamma-ray flaring activity seen with INTEGRAL during the 2015 outburst of V404 Cygni "
J. Rodriguez, M. Cadolle Bel, J. Alfonso-Garzón, T. Siegert, X.-L. Zhang, V. Grinberg, V. Savchenko, J. A. Tomsick, J. Chenevez, M. Clavel, S. Corbel, R. Diehl, A. Domingo, C. Gouiffès, J. Greiner, M. G. H. Krause, P. Laurent, A. Loh, S. Markoff, J. M. Mas-Hesse, J. C. A. Miller-Jones, D. M. Russell and J. Wilms
Publié dans la revue Astronomy and Astrophysics, 2015, 581, L9
Accès à la version électronique de la publication

 

Voir          - Le Communiqué du CEA
                - Le Communiqué du MPE (en anglais)

Voir aussi : Les informations microquasars sur le site du SAp
                  

Voir : Communication du Service d'Astrophysique

 

Rédaction : C. Gouiffès

 
#3719 - Màj : 07/03/2016

 

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